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MAURICE BOUCHOR.


Vois-tu, — si tu savais tout ce que j’ai pour toi
D’amour inavoué que je crains qu’on surprenne,
Tu saurais que ta robe emporte dans sa traîne
Ce qui me reste encor de tendresse et de foi !

À quoi bon ? — Tous les deux nous vieillirons ensemble,
Sans que jamais ma main dans votre main qui tremble
Se repose un instant, l’ayant bien mérité !

Mais le rêve impossible et navrant qui me charme
Aura du moins prouvé la triste vérité
Qu’après tout ce qui passe, il nous reste une larme.





À UN COMPAGNON DE ROUTE




Non, tu n’étais pas fait pour les amours vulgaires,
Toi pour qui les baisers vendus sont douloureux !
Ton corps à ton esprit livre d’affreuses guerres,
Et c’est ton pauvre cœur qui doit payer pour eux.

Qui te délivrera des phrases toutes faites,
Des amours convenus, même de l’amitié ?
Que l’orchestre banal qui chante dans tes fêtes,
Avec ses airs joyeux, m’inspire de pitié !

À force de lever les voiles des corsages
Et de chercher l’amour entre mille bras nus,
Tu dois avoir acquis la science des sages
Et ne plus espérer de vagues inconnus.