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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

On habilla le roi de ses robes de fête,
On lui mit la couronne altière sur la tête,
Et, pour que son corps froid se tint debout encor,
On appuya sa main sur son long sceptre d’or.
Alors on fit entrer la foule dans l’enceinte.
Le peuple s’inclina sous la majesté sainte
Et salua, les yeux à terre et le front bas,
Suleiman, le vainqueur sublime du trépas.

Ainsi, quand l’Empereur Karle, maître du monde,
S’éteignit, fatigué de sa tâche féconde,
Pour qu’il pût voir encor sa race de géant,
On ne l’étendit point dans le tombeau béant :
Il resta droit, statue etincelante et fière,
Assis, sa grande épée à son poing, sur la pierre.


(Poèmes d’Autrefois)





LA TÉMÉRAIRE




Lorsque l’on ramassa le Téméraire mort
Aux fossés de Nancy, sombre fin d’épopée,
Il était sans pourpoint, sans casque, sans épée,
Tout nu, — tel qu’on ne put le connaître d’abord.

Il gisait oublié, dépouillé, sur le bord
D’une mare, où sa tête informe était trempée.
Des loups, troupe sinistre à la guerre occupée,
Rongeaient son crâne, fait pour les couronnes d’or.

Ainsi meurtri, souillé, hideux, nul n’eût pu dire
Si c’était là ce prince illustre de l’Empire
Que dans son camp, depuis deux jours, on attendait.