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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


Des plaines de limon étrangement fécondes
Surgit, comme au hasard de toutes les saisons,
L’exubérante flore éparse par les mondes ;
Et dans l’effeuillement fauve des floraisons
Notre âme s’attardait parmi les fleurs immondes.

Nous marchions : devant nous, des profondeurs d’un val
Jusqu’au dôme éperdu des feuillages sans date,
En gerbes d’émeraude opaque et de cristal,
Jaillit en bouillonnant !a source de l’Euphrate
Avec un bruit harmonieux de clair métal ;

Fardé, comme au printemps, de fleurs roses et blanches,
Debout dans la clairière, éternel et fatal,
Et ployé jusqu’au sol sous l’orgueil de ses branches,
L’arbre de la Science du Bien et du Mal
Raidit son double tronc bombé comme des hanches.

Au pied de l’arbre, avec des fleurs sur ses genoux,
Notre âme dit : Voici le fruit où l’on s’étanche ;
Et je pris d’elle un fruit, et je le trouvai doux ;
Et nous nous complaisions dans cette ombre qu’épanche
L’arbre, et la volupté des dieux entrait en nous ;

Heure folle ! — puberté du songe : nos rêves
Prenaient vie aux seuls vœux des désirs créateurs,
Mais, joie extasiée, afin que tu t’achèves,
Sur nous l’arbre du Mal amoncelait ses fleurs,
Et des siècles passaient comme des heures brèves...

La fin nous est venue, ainsi, comme une mort ;
L’ange vengeur du doux péché d’Adam ec d’Ève,
Dans l’immobilité d’un simulacre d’or,
Tient de son poing crispé le flamboiement du Glaive,
Et l’Éden apparaît, là-bas, comme un décor !...


(Les Cygnes)