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JULES CARRARA.

Oh ! sentir devant soi l’écartement farouche
De ces cinq doigts dont un dieu vous ferme la bouche,
Et dont l’impur contact est de glace ou de feu !
Oh ! comme il comprend mal ce qu’est l’homme, ce dieu !
Certe, avec un tel dieu, Hadès n’est pas en reste.
Au lieu d’Agamemnon, vois-le punir Oreste !
Vois comme il conduit bien son troupeau, ce berger !
Vois, suivant ses conseils, Clytemnestre égorger
Atride, roi des rois, meurtrier de sa fille !
Le dieu sage ! Est-ce ainsi qu’il entend la famille ?
Le bel exemple ! Et quel spectacle intéressant
Que ces tigres, de père en fils s’éclaboussant !
Ce dieu se moque-t-il ? La caravane humaine
Se dispenserait fort qu’un tel guide la mène.
Ce qu’il lui sait ouvrir le mieux, c’est le tombeau.
Puis, lorsque Prométhée, allumant son flambeau,
Le dresse dans la nuit de l’homme comme un phare,
Voilà là-haut ce dieu paternel qui s’effare,
Qui dépêche Vulcain, et lui fait attacher
Ce héros par des nœuds de fer sur un rocher.
Sur son foie un vautour vient et se met à table.
Voilà ce qui s’appelle être un dieu charitable !
Il vaut la peine, et c’est un exploit réussi,
De se donner des fils pour les traiter ainsi !
Et puis, ce n’est pas tout. Comme en un rapt nocturne,
Ce Zeus vole le ciel. Qu’a-t-on fait de Saturne ?
Pourquoi l’a-t-on jeté sur terre avec Rhéa ?
Il est vrai qu’il mangea les enfants qu’il créa ;
Mais ça vaut encor mieux que d’en être le père
Comme ce Zeus, dont la cruauté m’exaspère !
Oui, ce Zeus, qui commande avec tant de hauteur,
Kronos m’en est témoin, n’est qu’un usurpateur.
Ce dieu, comme un enfant, gâte tout ce qu’il touche.
Qu’a-t-on fait de l’ancienne autorité farouche ?