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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


« Vieillard, évocateur des merveilles du ciel,
« Toi qui règnes — là-bas — au pays du mystère,
«  Mon cœur royal déçu par l’horreur de la terre
« Aspire à la beauté du monde essentiel.

« Tel que le cri plaintif des tigres dans les fosses
« Vient à nous à travers les cloisons de la nuit,
« J’entends sourdre en moi-même un lamentable bruit
« Malgré le mur d’airain des apparences fausses.

« Ô vieillard, fais tomber les mauvaises cloisons,
« Montre-moi la campagne et les arbres des plaines,
« Et les fleuves d’azur roulant à vagues pleines
« Vers le gouffre sans fin des vierges horizons. »

Mais l’homme, d’une voix tranquille : « Que t’importe,
« Ô roi des rois, seigneur des mondes, fils des dieux,
« Qui marches revêtu de pourpre et radieux,
« La rumeur entendue au delà de la porte ?

« Ô maître, que veux-tu de la terre et des cieux ?
« Si je t’ouvre la source antique de la vie,
« Je n’apaiserai pas ta soif inassouvie,
« Et ton esprit d’orgueil n’en croira point tes yeux ! »

— « Voilà beaucoup de mots inutiles, prends garde :
« Ta tête pourrait choir d’un coup prématuré. »
Et l’homme répondit : « C’est bien. J’obéirai :
« Roi qui veux voir le fond de l’abîme, regarde. »

Hors du temps, hors du lieu, faite de pur granit,
Enserrant l’univers de ses noires murailles,
Rauque d’un monstrueux râle de funérailles,
Une immense prison montait dans l’infini.