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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


Votre misère est plus intime et plus profonde :
Car, innocents d’espoir, de prière ou de vœu,
Dans le crime immuable et surhumain du monde.
Les damnes ne sont pas les complices de Dieu ! »





LA TRÊVE




Le jour gris de chagrins, de larmes et d’ennui,
Le jour interminable où l’âme se morfond,
Le jour brûle le sang des hommes, et la nuit
Est un puits d’épouvante avec l’horreur au fond.

Mais voici que, mêlée au rose des nuées,
La mer calmée éteint ses heurts et ses secousses,
Les brutales couleurs fondent atténuées
Et baignent l’horizon de lumières plus douces.

La vieille hostilité de la terre et du ciel
Dans un rêve de paix s’égare et s’affaiblit,
L’esprit malin de la nature, moins cruel,
Laisse tomber sur l’homme un pardon fait d’oubli.

On sent fléchir la haine et sombrer les colères
Dans la poussière blonde où s’endorment les dunes,
Dans le deuil amical des ciels crépusculaires
Où les soleils mourants ont des douceurs de lunes.

Vous vous laissez leurrer aux trêves d’un instant,
Frères jamais guéris du rêve d’être heureux,
Et l’Éden retrouvé du mensonge inconstant
Vous tend le fruit d’espoir perfide et savoureux.