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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


LES CHEMINÉES





Pensives — sur les toits comme des Sphinx penchées —
Profilant dans le ciel leurs noires ossatures —
Elles dévoilent les choses les mieux cachées.

Elles geignent — tremblant ainsi que les mâtures
D’un navire qui vogue au hasard de l’orage —
Avec leurs longs tuyaux, plantés sur les toitures.

Par les sombres minuits, plus d’une fait naufrage
Sous la bourrasque — et va se perdre dans la rue,
Quand siffle la tempête et que le vent fait rage.

Et lorsque en blancs flocons la neige tombe drue —
Seules, émergeant des couches, les Cheminées
Esquissent leurs tuyaux dans la lumière crue.

Elles passent, alors, d’hivernales journées,
Secouant dans les airs leurs panaches splendides,
Au-dessus des maisons du froid abandonnées.

Mais, sur les toits plus bas, leurs spirales morbides
Font craindre un foyer triste, où sanglotent les mères,
Devant les doux berceaux, qui demain seront vides.

Ainsi, j’apprends où sont les souffrances amères,
En regardant au ciel s’envoler les fumées
Que disperse le vent, gloires, bonheurs... Chimères !

Et je vois, par les toits, dans les maisons fermées.


(Sur le Vif)