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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


À LA CHARRUE




Tandis que les amants, ces chanteurs de romance,
Vont par couples le long du sentier déjà vert,
Avec mes serviteurs je jette la semence
Dans le sillon fumant que nos bœufs onc ouvert.

Des coins les plus cachés sous le nouveau feuillage
J’entends, chaque matin, monter de fraîches voix :
Alors il me souvient des filles de village
Qu’au temps de mes amours je suivais par les bois.

Quand la nuit tombe avec des lenteurs amoureuses
Et que nous revenons, piquant nos bœufs lassés,
Je rêve, au souvenir des nuits aventureuses,
Mes rêves de jeune homme encore inexaucés.

Mais si le chaud sillon s’ouvre sous nos charrues,
Quand le soc étincelle entre nos doigts calleux,
Ces rêves à la fois ainsi qu’un vol de grues
Essaiment follement aux pays fabuleux.

Soleil ! nous oublions les chanteurs de romance,
Nous n’aimons que nos bœufs, nos bœufs graves et doux
Et pour l’été futur nous jetons la semence
Que tu féconderas sous ton baiser d’époux.


(Provensa !)