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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


Je n’immolerai pas, ô Nature sacrée,
De génisse au poil blanc : La Puissance qui crée
Ne se réjouit point d’un flot de sang versé ;
Mais, artiste elle-même en vastes symphonies,
Se plaît au rythme pur, aux grandes harmonies,
À l’hymne doux et fier, savamment cadencé...


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*       *


Depuis que de mille ans, Terre génératrice,
Gorgée abondamment de sève créatrice,
Vagues-tu sans repos par l’espace profond ?
Sous les flèches d’Érôs, depuis combien d’années
Nourris-tu sur ton sein des races condamnées
Au stérile labeur, comme à l’amour fécond ?...

Ton fils infortuné, vers soixante ans, succombe
A la tâche, et trébuche au tertre de sa tombe,
Les reins las ou rompus, le front jaune ou ridé ;
Toi, toujours aussi jeune et toujours aussi belle,
Sous ton grand manteau vert, tu semblés immortelle,
Et ton flanc, sans fatigue, est toujours fécondé !

— Mais, ô Maîa, pardonne à ton enfant d’une heure,
Si parfois il s’alarme, et, devant qu’il ne meure,
Fait vibrer jusqu’à toi l’hymne de ses sanglots ;
Quand le travail le brise, ou que le spleen l’obsède,
Il appelle à grands cris la Nourrice à son aide,
Et vers elle ses pleurs roulent comme des flots.

Tu lui réponds alors, ô douce, ô tendre mère :
« Pourquoi noyer ton cœur dans la détresse amère ?
« De mon calme fleuri contemple la splendeur !