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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


SOIRS D’ÉTÉ




Le soir est aussi doux, aussi calme qu’hier.
Là-haut pas un nuage et pas un souffle d’air.
Mais une impression de tristesse s’exhale,
Pour moi, de ce beau ciel si clair qu’il en est pâle ;
Je vois, de ce soleil épuisé qui s’endort,
Sinistrement tomber une vapeur de mort
Sur ces coteaux muets, sur ces bois immobiles.
Habitant inquiet des inquiètes villes,
Ce silence effrayant pèse à mon faible cœur,
— Et la nature, vue en face, me fait peur.
C’est son indifférence éternelle et profonde
Que je hais ! Je supplie et veux qu’on me réponde,
Et je veux être plaint, et je veux être aimé...
Si vous étiez ici, chère rose de mai,
Frêle amie aux yeux fins et dont l’âme est sincère,
Je vous amènerais jusqu’à ce banc de pierre,
Où, devant l’horizon doré, je viens m’asseoir,
Et là je vous dirais dans cette paix du soir :
« Vois tout cet univers mystérieux et morne !
Comme il est sans pensée, il est aussi sans borne.
Spectateur étranger de tout le drame humain,
Il fleurissait hier, il fleurira demain.
Je ne suis qu’un enfant et tu n’es qu’une femme ;
Mais puisque ici-bas rien n’aime une âme qu’une âme,
Aimons-nous ! Aimons-nous, puisque, tragique ou doux,
Le vaste ciel du soir ne comprend pas les choses
Que nous nous murmurons devant ses brumes roses,
Silencieux témoin vers qui tous les vivants
Ont jeté de vains cris emportés par les vents .»


(Les Aveux)