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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


Mon fils n’a jamais vu mon père dans ce monde,
L’un descendait des cieux quand l’autre y retournait ;
Mais leurs âmes ont dû se voir une seconde
Dans un nuage doux et rose qui planait ;

Et dans cette rencontre — ô nature, ô mystère ! —
Un peu de l’aïeul mort dut rester sur l’enfant
Pour qu’en voyant mon fils, moi, je pense à mon père.
Et qu’à la fois je pleure et sourie en rêvant.


(La Chanson des Étoiles)





L’ACACIA




Le svelte acacia pavoisé de fleurs blanches
Titube dans la brise et semble ivre de mai ;
Il présente au ciel bleu son long rire embaumé
Et fait de verts saluts à l’homme avec ses branches.

Or, l’homme prend sa hache et frappe l’arbre cher,
Et la hache s’abat, rythmique, lourde, sûre,
Et les éclats de bois volent sous sa morsure
Comme de grands lambeaux sanguinolents de chair.

Alors l’arbre odorant regarde l’homme lâche :
Il tressaille, il frémit comme un humble sureau ;
Fuis, grave et magnanime, il jette à son bourreau
Une averse de fleurs pour chaque coup de hache.

Et, de mon front tremblant, ces strophes de langueur
Tombèrent, un matin de tristesse infinie,
Pour honorer la femme implacable et bénie,
Dont j’ai senti la hache ensanglanter mon cœur.


(La Chanson des Étoiles)