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LAURENT TAILHADE.


LES FLEURS D’OPHÉLIE




Fleurs sur fleurs ! fleurs d’été, fleurs de printemps ! fleurs blêmes
De novembre épanchant la rancœur des adieux
Et, dans les joncs tressés, les fauves chrysanthèmes.

Les lotus réservés pour la table des dieux ;
Les lis hautains, parmi les touffes d’amaranthes,
Dressant avec orgueil leurs thyrses radieux ;

Les roses de Noël aux pâleurs transparentes.
Et puis, toutes les fleurs éprises des tombeaux,
Violettes des morts, fougères odorantes ;

Asphodèles, soleils héraldiques et beaux,
Mandragores criant d’une voix surhumaine
Au pied des gibets noirs que hantent les corbeaux.

Fleurs sur fleurs ! Effeuillez des fleurs ! Que l’on promène
Des encensoirs fleuris sur le tertre où, là-bas,
Dort Ophélie avec Rowena de Trémaine.

Amour ! Amour ! et sur leurs fronts que tu courbas
Fais ruisseler la pourpre extatique des roses,
Pareille au sang joyeux versé dans les combats.

Jadis elles chantaient, vierges aux blondeurs roses,
Les Amantes des jours qui ne renaîtront plus,
Sous leurs habits tissés d’ors fins et d’argyroses.

Ô lointaine douceur des printemps révolus !
Épanouissement auroral des Idées !
Porte du ciel offerte aux lèvres des élus !