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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


LA BEAUTÉ




Beauté ! présent divin dont mille chants joyeux
Sur la terre éblouie ont salué l’aurore !
Beauté ! présent fatal que des cris furieux
Ont maudit tant de fois et maudiront encore !

Beauté ! clarté céleste, astre aux rayons vainqueurs
Qui depuis six mille ans illumines le monde !
Beauté ! feu de l’enfer qui tortures les cœurs
Sous ta brûlure atroce, immortelle et profonde !

Beauté ! dictame pur qui des bleus paradis
À nos ardents désirs ouvres la porte auguste !
Beauté ! poison subtil et lent, tel que jadis
N’en prépara jamais la sauvage Locuste !

Beauté ! déesse bonne, aux doux yeux caressants,
Oui, pour nous consoler, nous prends sur ta poitrine !
Beauté ! furie avide, aux deux bras menaçants,
Qui nous déchires tous de ta dent vipérine !

Toi qui portes la vie et qui donnes la mort,
Chimère énigmatique, ô monstre bicéphale
Qui poursuis en riant, sans émoi, sans remord,
Dans le sang des humains ta marche triomphale !

Parle ! Qui donc es-tu ? pour que nous te gardions
Malgré tes cruautés un amour indicible,
Ô Beauté ! qui reçois nos adorations
Comme un sphinx de granit fièrement impassible !


(L’éternel Féminin)