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EUGÈNE VERMERSCH.


Je m’approchai de lui. Les pins et les yeuses
S’étirèrent dans un lointain gémissement ;
Et sur le ciel passaient des ombres monstrueuses.

Mais l’homme travaillait, sans lever seulement
Son formidable front sur le rôdeur profane,
Et d’un plus fier effort bêchait profondément.

Déjà la lune était mystique et diaphane,
Et dans le cuivre d’un ciel blême se mourait,
Quand la bêche donna tout à coup sur un crâne :

Le crâne d’un jeune homme où vivait le regret
De la saison exquise, à peine entr’aperçue,
Et morte sans avoir révélé son secret.

On lisait sur son front l’espérance déçue.
Après l’avoir jeté près d’un tas d’ossements,
L’homme le ramassa sur la terre moussue,

Et, dans sa large main l’ayant gardé longtemps,
Il le considéra de sa prunelle humide,
Et puis il dit, avec de longs tressaillements :

« Pauvre Yorick ! C’était un fou charmant, timide
Comme une jeune fille et doux comme un enfant,
Qui fut brisé par un aveuglement stupide! »

De larges pleurs mouillaient la face du géant ;
Et moi, je me sentis remué jusqu’à l’âme,
Malgré moi, devant cette épave du néant.

« Pourquoi donc, dis-je à l’homme, es-tu comme une femme,
Devant ce masque affreux et pourri, dont la mort
A fait depuis longtemps disparaître la flamme ?