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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


Morne et courbé, j’allais sous le feuillage noir
Des cyprès, des sapins et des hauts sycomores,
Perdu dans ma douleur et dans mon désespoir.

De sinistres hiboux, de leurs ailes sonores,
Fuyaient, fouettant mon front pâle, aveuglant mes yeux,
Où s’éteignait l’ardeur des anciennes aurores.

Un silence profond, sombre et mystérieux
Enveloppait l’horreur des funèbres allées,
Tandis que le soleil s’éteignait dans les cieux.

Je marchais parmi les ombres échevelées
Des saules. Et voici que j’avais dépassé
Les grands tombeaux et les célèbres mausolées.

Et puis, je traversai le terrain, effacé
Sous les croix de bois noir, de la fosse commune,
Où le doux univers souffrant s’est déversé.

Et j’atteignis un champ où, dans la terre brune,
Un fossoyeur avec acharnement bêchait,
Sous la mélancolie immense de la lune.

Colossal, sur sa bêche énorme il se penchait.
Par moments, il riait; mais, dans son œil atone,
Une larme, récente encore, se séchait.

Sur sa lèvre fanée, un refrain monotone
Vaguement se traînait en un rythme indolent,
Et, triste, se mêlait aux souffles de l’automne.

Un jour crépusculaire, incertain, effrayant,
Éclairait faiblement les épaules hideuses,
Le cou cyclopéen et le dos du géant.