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JOSÉ-MARIA DE HEREDIA.



LE VIEIL ORFÈVRE




Mieux qu’aucun maître inscrit au livre de maîtrise,
Qu’il ait nom Ruyz, Arphé, Ximeniz, Becerril,
J’ai serti le rubis, la perle et le béryl,
Tordu l’anse d’un vase et martelé sa frise.

Dans l’argent, sur l’émail où le paillon s’irise,
J’ai peint et j’ai sculpté, mettant l’âme en péril,
Au lieu de Christ en croix et du Saint sur le gril,
Ô honte ! Bacchus ivre ou Danaé surprise.

J’ai de plus d’un estoc damasquiné le fer,
Et, pour le vain orgueil de ces œuvres d’Enfer,
Aventuré ma part de l’éternelle Vie.

Aussi voyant mon âge incliner vers le soir,
Je veux, ainsi que fit Fray Juan de Ségovie,
Mourir en ciselant dans l’or un ostensoir.


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ÉMAIL




Le four rougit ; la plaque est prête. Prends ta lampe.
Modèle le paillon qui s’irise ardemment
Et fixe avec le feu dans le sombre pigment
La poudre éblouissante où ton pinceau se trempe.

Dis, ceindras-tu de myrte ou de laurier la tempe
Du penseur, du héros, du prince ou de l’amant ?
Par quel Dieu feras-tu, sur un noir firmament,
Cabrer l’hydre écaillée ou le glauque hippocampe ?