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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

L’un à quelque folie et l’autre à quelque vice
Retourneront sans doute au sortir de ce lieu,
Pauvre fille, où tu viens de dire au siècle adieu.
Ce soir, lorsque, ayant bu jusqu’au fond le calice,
Lasse d’être à genoux, saignant sous ton cilice
Et laissant jusqu’au sol tes mains jointes tomber,
Tu frémiras, craignant un jour de succomber
Sous le faix écrasant de tes saintes fatigues,
Ces hommes replongés déjà dans leurs intrigues,
Ces femmes se parant pour un plaisir nouveau,
T’oublieront dans ton cloître ainsi qu’en un tombeau !

Mais j’ai tort, ô ma sœur ! Mon âme peu chrétienne
Ne sait pas s’élever au niveau de la tienne.
C’est parce que le monde esc justement ainsi
Que ta jeunesse en fleur va se faner ici.
Pour tout le mal commis par les hommes impies,
Tu t’offres en victime innocente et l’expies.
Dans la stricte balance, au dernier jugement,
Tu crois qu’il suffira peut-être seulement,
Pour voir se relever le plateau des scandales,
Du poids de tes cheveux répandus sur les dalles.
Tu vas veiller, jeûner, languir, mais tu le veux.
Dans toute leur rigueur accomplis donc tes vœux.
Le fardeau des péchés du monde est rude et grave,
Ma pauvre sœur ! Pour tous les tyrans, sois esclave ;
Sois chaste, ô sainte enfant, pour tous les corrompus ;
Bonne, pour les pervers ; sobre, pour les repus ;
Sois pauvre, l’on voit tant d’avarices vantées ;
Souffre, il est des heureux ; prie, il est des athées !
Comme à Marie a dit l’archange Gabriel :
« Sois bénie ! » et quand même — affreux soupçon ! — le ciel
Vers qui tu tends tes bras suppliants serait vide,
Quand ce serait en vain, cœur d’idéal avide,