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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


LE RÊVEUR


Adolescent drapé dans ta mélancolie,
Parfois morne, parfois fiévreusement rieur,
Rêveur aux cheveux noirs dont la face pâlie
Trahit depuis longtemps l’orage intérieur,

Toi qu’ont rendu jaloux les hommes de génie,
Qui brûles de porter l’auréole comme eux,
Toi qui souffres partout, craignant que l’on te nie,
Fier enfant qui voudrais te réveiller fameux,

Je suis tout étonné de tes désirs étranges !
Le génie est fatal aussi bien que la foi;
Tu ne peux l’acquérir si tu ne l’as en toi,
Et l’orgueil, tu le sais, a fait les mauvais anges.

Regarde Beethoven, Balzac et Raphaël :
Dans leur labeur terrible ils restent sûrs d’eux-mêmes;
Ils cherchent l’Idéal sans doute et sans blasphèmes,
Et c’est à ce prix-là que l’on est immortel!

N’interroge pas tant et toi-même et les autres:
Va ! Tu parleras ferme et haut, si tu te sens
Réellement hanté par ces songes puissants
Qui font marcher tout droit devant eux les apôtres !

Quand Michel-Ange eut fait le « Jugement dernier, »
Sublime, il s’en alla sans consulter personne,
Sans songer même à ceux qui pouvaient le nier,
Comme un bon laboureur qui sait son œuvre bonne !