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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

« Prends garde d’irriter nos hommes, vaillant frère :
Cette nonne les brave ; et d’ailleurs sois certain
Que ces femmes en blanc qui beuglent du latin
À leur premier aspect tomberont en syncope.
Livre-nous ce moutier, c’est plus sûr. »

Livre-nous ce moutier, c’est plus sûr. » Mais Procope
N’écoute déjà plus celui qui lui répond.
Il a pris un parti. Revenant vers le pont
Et défiant des yeux le calme monastère,
Il tire son épée et plante l’arme en terre.

« Au nom du Père, au nom du Fils et de l’Esprit,
Dit-il, si mon estoc prend racine et fleurit
Cette nuit, c’est qu’alors Dieu veut que ces chrétiennes
Chantent paisiblement désormais leurs antiennes ;
Et dès l’aube, aussi vrai que Jean Huss fut martyr,
Sans leur faire aucun mal, je m’engage à partir. »

Puis, le soldat s’en fut reposer sous sa tente.

La nuit vint, nuit sereine, étoilée, éclatante,
Et dont le clair de lune argentait tout l’azur ;
Et les nonnes en chœur, dans l’air tranquille et pur,
Lançaient toujours le chant de leurs voix solennelles,
Qu’interrompait parfois le cri des sentinelles
Debout auprès des feux qui se courbaient au vent.

Enfin l’aurore emplit le ciel vers le levant.
Tout s’émut. Le son grêle et perçant des trompettes
Éveilla dans le camp les hommes et les bêtes ;
Le soleil du matin, oblique et froid encor,
Fit sur les fronts casqués courir un frisson d’or,
Et, sortant de sa tente au milieu d’un murmure,
Procope, revêtu déjà de son armure,