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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

Parmi des flots de sang et des torrents de larmes,
Il passe. Ses soldats, dans un couvent de carmes,
Ont pris ces malheureux, leur ont coupé les pieds,
Puis, monstrueux bourreaux, sur ces estropiés
Frappant tous à grands coups de gaule et de lanière,
Les ont martyrisés d’une telle manière
Qu’ils les ont fait courir sur leurs moignons sanglants
Aussi, par les chemins, pauvres fuyards tremblants,
Portant leurs vases d’or et leurs saintes reliques,
On ne rencontre plus que prêtres catholiques
Qui demandent asile et de qui nul ne veut.
Car Procope est en route ! Il vient ! Sauve qui peut !

Mais plus se rapprochait la sanguinaire armée,
Et moins Thécla semblait avoir l’âme alarmée ;
Elle était sans terreur, comme un ancien martyr ;
Et, quand un paysan vint, un soir, l’avertir
Que des troupes sonnant une marche guerrière
Venaient par le chemin qui longeait la rivière,
L’abbesse fit ouvrir, contre tous les avis,
La grande porte et fit baisser le pont-levis.
Puis elle conduisit ses sœurs et ses novices
Dans le chœur éclairé comme pour les offices,
Et leur fit réciter les prières des morts.

Sur un bai-brun rétif et qui blanchit le mors,
Voici Procope. Il vient dans un bruit de fanfare ;
Et sur le ciel sanglant derrière lui s’effare
Le sombre gonfanon des Frères de Tabor,
Sur lequel est brodé le grand Calice d’or.
Les routes du vallon sont toutes occupées
Par un fourmillement de lances et d’épées ;
Et huit bœufs, balayant la terre du fanon,
Traînent auprès du chef un énorme canon