Page:Lemerre - Anthologie des poètes français du XIXème siècle, t3, 1888.djvu/33

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
21
FRANÇOIS COPPÉE.

Quand venait la Toussaint, la pâle chrysanthème
Lui souriait encor sous les feuillages bruns ;
Et les fleurs lui rendaient son amour en parfums.

Or, ce fut dans la paix profonde de ce cloître
Dont le pieux renom ne cessait de s’accroître,
Qu’un jour une nouvelle affreuse pénétra.

Après avoir rompu le colloque d’Egra,
Procope le Tondu, le chef des Taborites,
Relevait l’étendard des doctrines proscrites
Que Jean Huss proclama du haut de son bûcher,
Et contre l’Empereur s’apprêtait à marcher ;
Et Thécla savait bien que si son monastère
Se trouvait sur les pas de l’horrible sectaire,
Il l’anéantirait par la flamme et le fer
Et n’épargnerait point ces béguines d’enfer
Qui relevaient du pape, ainsi que leur abbesse,
Et qui communiaient sous une seule espèce.

Sauve qui peut ! Le cri de terreur est jeté.
L’Eger roule à présent un flot ensanglanté
Où des cadavres nus s’en vont à la dérive.
Car Procope a quitté Tabor ! Procope arrive !
Au rappel de l’affreux tambour qu’on fabriqua
Avec la rude peau du borgne Jean Ziska,
Tous sont venus, Saxons, Bohèmes et Moraves.
Procope arrive! Il marche, avec vingt mille braves,
Trente canons de siège et deux cents chariots,
Sur Fritz le Querelleur et ses Impériaux.
S’il rencontre un couvent, il le brûle et massacre
Quiconque est tonsuré, moine, abbé, clerc ou diacre.
Il est pieux, austère, impassible, inhumain,
Atroce ; il a toujours l’Évangile à la main.