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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

Mais l’abbesse était bonne encor plus que savante ;
Des pauvres elle était la très humble servante
Et parfois, dans la rue, embrassait un lépreux.
Elle avait accompli des miracles nombreux.
Un jour, au lever-Dieu, devant tous les fidèles,
Elle avait imposé silence aux hirondelles
Oui, dans la nef gothique ayant fait leurs abris,
Troublaient en ce moment l’office de leurs cris ;
Et, sur l’ordre sorti de ses lèvres naïves,
S’envolant aussitôt sous les vieilles ogives,
Jusqu’au Benedicat les oiseaux s’étaient tus.
Au loin se répandait l’odeur de ses vertus,
Ainsi qu’un vent du sud tout parfumé de roses.
Ses deux mains pour donner étaient toujours décloses ;
Et quand elle passait, grande sous le froc blanc,
Ses beaux regards baissés, le chapelet au flanc,
Sa personne unissait dans un divin mélange
La grâce de la femme et la force de l’ange.

Dans ce cœur tout céleste, il n’était donc resté
Aucun attachement pour la terre, excepté
Le vif amour des fleurs qu’avait la bonne sainte.
Elle les adorait. Devant une jacinthe,
Une pervenche, un lis, une rose, un œillet,
Son regard attendri tout à coup se mouillait.
Ainsi que d’un penchant coupable à la mollesse,
Elle s’en accusait ; mais c’était sa faiblesse.
Elle avait dans son cœur, tout bas interrogé,
Comme le sentiment d’un amour partagé
Devant ses chères fleurs. Autour de sa fenêtre,
Un églantier grimpait qui semblait la connaître ;
Comme si de la voir le jasmin fût charmé,
Pour elle il exaltait son arôme embaumé
Et doux comme une voix qui murmure : « Je t’aime ! »