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JEAN AICARD.


La Suisse généreuse à la France te donne.
Ta voix endort leurs fils au berceau, vieux géant.
Le sang ne te plaît pas, à toi ! Ta force est bonne,
Ô fleuve ! et comme un dieu tu passes en créant.

Tu fais germer des bourgs, croître des capitales :
Voici Lyon, Valence, et la brune Avignon,
Dont les filles gaîment, sur tes rives natales,
Peuvent mêler le pampre aux nœuds de leur chignon,

Car, pour mieux nous porter la joie et l’espérance,
Tu fais verdir les ceps sur les coteaux penchants,
Tu donnes de ta force à nos bons vins de France,
Et tu fais naître ainsi des amours et des chants.

Et tu passes, heurtant l’arche du pont qui bouge,
Et l’on a peur de toi, tant, furieux et prompt,
Aveuglément, comme un taureau qui voit du rouge,
Sur les digues des quais tu vas donnant du front.

Mais, ô le plus puissant des fleuves de l’Europe !
Pourquoi donc laisses-tu défaillir ta vigueur,
Lorsque, près d’Avignon, le mistral qui galope
Te jette, en s’enfuyant, le défi d’un vainqueur ?

Sans pouvoir t’indigner, le mistral te devance...
Ah ! tu voudrais marcher toujours plus lentement!
Et même, pour mieux voir le ciel de la Provence,
Tu voudrais un seul jour n’être qu’un lac dormant.

Car voici, par essaims, les belles filles d’Arles,
Leurs cheveux couronnés du large velours noir,
Le cœur pris au langage amoureux que tu parles,
Qui sur tes bords charmants viennent rêver le soir.