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EDMOND LEPELLETIER.

De ses ailes couvrait plaine et bois; et toujours
Retentissaient lointains le fatidique augure
Des hiboux et les sourds mugissements des ours.
Les villes s’effondraient dans la brume. — Orthosie
N’était plus qu’un brouillard, Milet qu’une vapeur.
La Mère, sous ce froid clair de lune d’Asie,
Souriait à ses fils. — Les grands bœufs avaient peur…
Peur de la nuit, du vent, des formes inconnues. —
Leurs cous pesants pendaient. Les grands bœufs étaient las,
Et s’affaissant soudain sur leurs croupes charnues,
Inertes, les grands bœufs ne se levèrent pas.
Un meuglement aux deux poussé, farouche et rauque ;
Les reins arqués cédant sous les jarrets discorde ;
Du sang dans les naseaux, et dans l’œil terne et glauque
Un éclair… Ce fut tout : les grands bœufs étaient morts. —
La Nuit ! Toujours la Nuit ! Toujours la Solitude !
Les vautours sur la proie, affamés et joyeux,
Fondent; le froissement de leur plumage rude
Se mêle au grincement d’un char aux lourds moyeux…
Le chariot roulait. — Et les chasseurs nocturnes
De leurs ongles aigus dépeçaient les grands bœufs :
Cependant que passaient deux formes taciturnes
Par les âpres sentiers et les vallons bourbeux.
Tirant le chariot massif aux ais d’érable.
Selenè blanchissait les fils pieux et forts,
Attelés et traînant leur mère vénérable !
La bienveillante Hèra protégeait leurs efforts.
Aussi, bientôt, courbés sous ton sacré portique,
Ils t’offraient le parfum de l’encens, la douceur
Du miel et la blancheur de la laine rustique.
Ô favorable Hèra, de Zeus épouse et sœur!
Tu juras, par les eaux du Styx inviolable,
D’écouter la prière et d’exaucer les vœux
De la Mère, et, plissant ta lèvre secourable,