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FRANÇOIS FABIÉ.


Un jour même, — chacun pleurait près de ta couche,
Et nous, tes chers petits, t’appelions, anxieux, —
Tu nous fis tout à coup quelque conte joyeux,
Et le rire soudain revint sur chaque bouche…


*
*       *


Car, tu naquis conteur, comme nos bons aieux !
Et nul ne t’égalait pour la verve caustique,
Et l’entrain et le sel, — non pas le sel attique,
Mais le vieux sel gaulois, qui peut-être vaut mieux.

Aussi, lorsque Noël ramenait les veillées,
Si, tout en arrosant de vin bleu nos marrons,
Tu faisais un récit émaillé de jurons,
Les rires éclatants s’élevaient par volées.

C’est que, comme un ressort que nul choc n’a brisé,
La nature avait mis en toi sa gaîté franche,
Et tu te redressais toujours, comme la branche
Se redresse au soleil quand l’orage a passé.

L’âge même, sous qui le plus fort tremble et ploie,
A beau blanchir ta tête et te courber les reins,
Il ne peut t’arracher tout à fait tes refrains,
Et, s’il te prend la force, il te laisse la joie.

Et tu vois arriver, sans regrets et sans peur,
— Comme un bon ouvrier ayant fini sa tâche, —
La mort, qui de tes mains fera tomber la hache
Et de son grand sommeil te paiera ton labeur.