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PAUL VERLAINE.

propre de la musique, tout l’indéterminé de la sensation et du sentiment. » Et M. Jules Lemaître : « Il a bien pu subir un instant l’influence de quelques poètes contemporains ; mais ils n’ont servi qu’à éveiller en lui et à lui révéler l’extrême et douloureuse sensibilité, qui est son tout. Au fond, il est sans maître. La langue, il la pétrit à sa guise, non point comme les grands écrivains, parce qu’il la sait, mais comme les enfants, parce qu’il l’ignore… Et ainsi il passe auprès de quelques jeunes gens pour un abstracteur de quintessence, pour l’artiste le plus délicat et le plus savant d’une fin de littérature. Mais il ne passe pour tel que parce qu’il est un barbare, un sauvage, un enfant… (M. Lemaître dit ailleurs : un malade.) Seulement, cet enfant a une musique dans l’âme, et, à certains jours, il entend des voix que nul avant lui n’avait entendues. »

Les œuvres de M. Paul Verlaine ont été éditées par MM. Alphonse Lemerre et Léon Vanier.

Auguste Dorchain.


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MON RÊVE FAMILIER




Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime,
Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend.

Car elle me comprend, et mon cœur, transparent
Pour elle seule, hélas ! cesse d’être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

Est-elle brune, blonde ou rousse ? Je l’ignore.
Son nom ? Je me souviens qu’il est doux et sonore
Comme ceux des aimés que la Vie exila.