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PAUL HAAG.

Ces bois que le sanglot du vent troublera seul.

Nous songerons alors que tout meurt et tout passe,
Comme au courant des eaux une ride s’efface,
Comme un nuage au ciel par le vent emporté,
Et nous éprouverons l’amère volupté
De sentir que nos cœurs auront changé de même,
Qu’à notre insu ces mots, ces tendres mots : « Je t’aime ! »
Nous ne les dirons plus avec le même accent ;
Car l’herbe du chemin que l’on foule en passant,
Et le buisson qu’on frôle, et la branche qu’on cueille,
Et la fleur que, distrait ou rêveur, on effeuille,
Tout emporte avec soi quelque chose de nous.
Et tandis qu’à travers les ronces et les houx,
Dans la haute forêt tremblante des fougères,
Le couchant grandira nos ombres passagères,
Nous penserons, chère âme, à ces choses qui font
Plus tristes les baisers, mais l’amour plus profond.

Puis, quand naîtront au ciel les premières étoiles,
Quand la brume, flottant en clairs et légers voiles,
Montera sur les prés humides des vallons,
Dans les premiers frissons du soir nous reviendrons
Par la majestueuse et déserte avenue
Qu’au printemps si souvent nous avons parcourue.
Les dernières lueurs du jour mourant aux cieux,
Descendant dans la paix profonde de ces lieux
À travers le feuillage éclairci des grands arbres,
Éclaireront alors de la pâleur des marbres
Ton grave et doux profil et tes beaux cheveux d’or ;
Et nos regards pensifs pourront noter encor,
Dans les fossés jaunis et dans l’angle des portes,
Le triste encombrement que font les feuilles mortes.


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