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LOUIS-XAVIER DE RICARD.

Ses flots joyeux dressaient leurs aigrettes d’écumes,
Si bien qu’on les eût crus couverts des blanches plumes
De quelque immense oiseau dont ils pillaient le nid.

Les sereines forêts laissaient leur chevelure
Tomber en anneaux verts sur leur sein virginal ;
Et tous les habitants de l’épaisse ramure
Avec les vents plaintifs alternaient un murmure
Qui vaguement flottait dans l’éther matinal.

Or, comme un encensoir, la jeunesse du monde
Elevait ses parfums dans les splendeurs du jour.
Du haut de l’Orient, Éôs, rosée et blonde,
Épanchait on ne sait quelle senteur profonde
Qui n’était que le souffle embaumé de l’amour.

L’homme était né déjà : son âme épanouie
Flottait comme un lotos, dans son éternité ;
Il ouvrait tout son être aux forces de la vie ;
Son esprit curieux, sans haine et sans envie
Songeait, n’étant vêtu que de sérénité.

Calme, il se confiait à la bonté des choses,
Il amassait en lui sa méditation ;
La nature, lassée à varier ses poses,
S’abandonnant aux lois de ses métamorphoses,
Se reposait en lui de la création.

Et la matière, alors, comme une fiancée,
Pour féconder son flanc appelait un amant ;
Et l’homme la comprit ; et l’œuvre commencée
Enfante un nouveau monde infini : la Pensée.
Depuis, l’homme est le Dieu qui crée incessamment.