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PAUL DELAIR.

Lorsque les Rostres, pleins d’éloquences hautaines,
Se sont tus sur le deuil des libertés romaines,
Et que la force, aux pieds foulant la bonne foi,
A jeté son épée en travers de la loi ;
À ces sombres moments où, pour être tranquille,
Pour que l’ardente plebs ne batte plus la ville,
Pour qu’on puisse vaquer, sans tumulte affligeant,
Aux affaires d’amour, aux affaires d’argent,
On fait taire ces voix hargneuses au plus vite,
La tribune d’abord, la conscience ensuite ;
À cette heure où, de soi-même désespérant,
Lame d’un grand pays capitule et se rend,
Alors, Caton, ceux-là sont un groupe sublime
Qui de leur probité ne font pas grâce au crime,
Et, n’ayant que la mort d’espoir et de désir,
Le forcent à verser le sang pour réussir !
Ils veulent qu’avec eux on traîne aux gémonies
Les aïeux, la pudeur, les dieux et les génies.
Ils s’offrent au couteau par droit et par devoir,
S’imposent au vainqueur, pâle, et lui font savoir
Qu’un peuple n’est jamais si soumis ni si lâche
Qu’on le charge de fers sans que quelqu’un se fâche,
Et que fût-on bien bas, bien vil, il reste encor
Des âmes de vieux bronze et des cœurs de vieil or
À qui ces attentats paraissent choses graves,
Et qu’enfin nul ne règne et ne fait des esclaves
Et des valets, qu’après avoir fait des martyrs.
Ils sont le grand exemple offert aux repentirs,
Et, quand un peuple est las de descendre la honte,
L’escalier d’or par où vers les cieux il remonte.
Leur sacrifice auguste affirme le vrai prix
De l’honneur au rebut, fortune des proscrits,
Ô Justice, et leur mort fait, vestale fidèle,
Veiller dans le tombeau ta lumière éternelle.