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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

Ne déciment jamais vos rangs toujours complets ;
Et quand le soleil tombe à l’horizon extrême,
L’odalisque, entr’ouvrant la vitre des Yalis,
Vous suit d’un long regard à travers le treillis.


IV


On dit, ô voyageurs ! que vous êtes les âmes
Des victimes sans nom qui dorment sous ces flots ;
Corps souples et charmants d’ardentes jeunes femmes,
Dont la nuit et l’horreur étouffaient les sanglots,
Lorsque, cousus vivants dans des toiles infâmes,
L’eunuque les plongeait dans ce gouffre profond,
Muet comme la tombe et comme elle sans fond.


V


Voilà pourquoi, laissant vos corps sans sépulture
Servir sous les flots bleus de pâture au dauphin,
Vos mânes irrités errent à l’aventure,
Et, sans se consoler, volent, volent sans fin.
Voilà pourquoi, plaignant toujours votre torture,
Vous ne quittez jamais ce rivage embaumé
Où vous avez souffert, où vous avez aimé.


VI


Et vous avez raison ! car dans ce pauvre monde
On ne vit qu’où l’on aime, et la patrie est là !
Ici-bas, rien ne vaut le coin d’ombre profonde