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ALFRED BUSQUET.


OMBRE ET LUMIÈRE

souvenir valaque



La vie est ce ruisseau que l’on voit, à sa source,
Mince filet d’argent, babiller dans la mousse,
Puis grossir, puis enfler son cours trop vite accru,
Puis devenir torrent avec rage accouru,
Puis fleuve immense et fort, traînant parmi les herbes
Sa tunique éclatante et ses ondes superbes,
Puis décroître, et bientôt, rétrécissant son lit,
À son vêtement bleu retirer plus d’un pli,
Faire taire son flot qui chantait dans les saules,
Laisser plus d’un poisson à sec sur ses épaules,
S’enfoncer dans le sable et disparaître aux yeux,
Comme une étoile d’or filant au front des cieux.

C’est encor ce rayon que nous darde l’Aurore,
Linéament douteux qui bientôt se colore,
Devient flèche du jour, et qui, dans le ciel bleu,
Sous nos regards scintille en atome de feu ;
Mais soudain ce rayon, ce prisme, cet atome
Décoloré, blanchit et meurt, pâle fantôme,
Ne laissant rien de lui qu’un triste souvenir
Et l’espoir hasardeux de le voir revenir.

Hélas ! telle est la vie… un décroissement sombre,
Le passage fatal de la lumière à l’ombre.

Là-bas, lorsqu’un Valaque a clos ses yeux mourants,
Les amis du défunt, ses proches, ses parents,