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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


Près de nous est le trou béant ;
Avant de replonger au gouffre,
Fais donc flamboyer ton néant ;
Aime, rêve, désire et souffre !

(L’Illusion)



LE SAGE



Le vieux Viçvamétra dans les austérités
Avait vécu cent ans, et le farouche ascète
Assombrissait parfois de regards irrités
Le ciel clair, où les Dieux anciens menaient leur fête.

Le peuple entier du ciel redoutait ce géant,
Car le vieillard pouvait, d’une seule parole,
S’il les dédaignait trop, renvoyer au néant
Tous ces amants divins dont la terre était folle.

Il avait si longtemps, du fond de ses forêts,
Pesé la vanité du ciel et de la terre ;
Il avait pénétré d’effroyables secrets ;
iMais, comme il était bon, il préférait les taire.

Il savait qu’eux aussi les Dieux devaient périr,
Que tous étaient encor plus vains que nous ne sommes,
Et qu’un mot suffirait pour faire évanouir
Ces fantômes créés par le songe des hommes.

Il était devenu très vieux ; il dit un jour :
« Ces ombres, ma pitié les a trop laissés vivre ;
J’élargirai le cœur des hommes par l’amour ;
Mais il est temps qu’enfin leur esprit se délivre ! »