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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


S’effaça peu à peu : les lignes s’arrondirent ;
Les angles purs et droits vers le ciel assouplirent
En ondulations leur rigide dessin ;
L’aspérité du roc se moula comme un sein,
Ayant pour vêtement la neige immaculée.

L’image palpitait, charmante, reculée,
Obscure, insaisissable, et pourtant près de moi ;
Et, sans que ma raison pût concevoir pourquoi,
Le mont géant avait des épaules mignonnes.

Et comme on a parfois des rêves monotones
Quand l’amour qu’on berçait n’est pas bien endormi,
Pâle et blanche, et venant à moi d’un air ami,
Avec cette beauté que la grâce décore,
Je vis, spectre charmant, celle que j’aime encore.

(Les Chimères)



LE MOULIN



Cest par eau qu’il faut y venir.
La berge a peine à contenir
Le fouillis d’herbes et de branches,
Ce monde petit et charmant,
La grande roue en mouvement,
Les vannes et leurs ponts de planches.

Un bruit frais d’écluses et d’eau
Monte derrière le rideau
De la ramure ensoleillée.
Quand on approche, il est plus clair ;
Le barrage jette dans l’air
Comme une odeur vive et mouillée.