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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


SACRA FAMES




Limmense mer sommeille. Elle hausse et balance
Ses houles où le ciel met d’éclatants îlots.
Une nuit d’or emplit d’un magique silence
La merveilleuse horreur de l’espace et des flots.

Les deux gouffres ne font qu’un abîme sans borne
De tristesse, de paix et d’éblouissement,
Sanctuaire et tombeau, désert splendide et morne
Où des millions d’yeux regardent fixement.

Tels, le ciel magnifique et les eaux vénérables
Dorment dans la lumière et dans la majesté,
Comme si la rumeur des vivants misérables
N’avait troublé jamais leur rêve illimité.

Cependant, plein de faim dans sa peau flasque et rude,
Le sinistre Rôdeur des steppes de la mer
Vient, va, tourne, et, flairant au loin la solitude,
Entre-bâille d’ennui ses mâchoires de fer.

Certes, il n’a souci de l’immensité bleue,
Des Trois Rois, du Triangle ou du long Scorpion
Qui tord dans l’infini sa flamboyante queue,
Ni de l’Ourse qui plonge au clair Septentrion.

Il ne sait que la chair qu’on broie et qu’on dépèce,
Et, toujours absorbé dans son désir sanglant,
Au fond des masses d’eau lourdes d’une ombre épaisse
Il laisse errer son œil terne, impassible et lent.