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LECONTE DE LISLE.


Aux pentes des Pitons, parmi les cannes grêles
Dont la peau d’ambre mûr s’ouvre au jus attiédi,
Le vol vif et strident des roses sauterelles
Qui s’enivrent de la lumière de midi ;

Les cascades, en un brouillard de pierreries,
Versant du haut des rocs leur neige en éventail ;
Et la bise embaumée autour des sucreries,
Et le fourmillement des Hindous au travail ;

Le café rouge, par monceaux, sur l’aire sèche,
Dans les mortiers massifs le son des calaous,
Les grands parents assis sous la varangue fraîche,
Et les rires d’enfants à l’ombre des bambous ;

Le ciel vaste où le mont dentelé se profile,
Lorsque ta pourpre, ô soir, le revêt tout entier !
Et le chant triste et doux des Bandes à la file
Qui s’en viennent des hauts et s’en vont au quartier.

Voici les bassins clairs entre les blocs de lave ;
Par les sentiers de la savane, vers l’enclos,
Le beuglement des bœufs bossus de Tamatave
Mêlé dans l’air sonore au murmure des flots,

Et sur la côte, au pied des dunes de Saint-Gilles,
Le long de son corail merveilleux et changeant,
Comme un essaim d’oiseaux les pirogues agiles
Trempant leur aile aiguë aux écumes d’argent.

Puis, tout s’apaise et dort. La lune se balance,
Perle éclatante, au fond des cieux d’astres emplis ;
La mer soupire et semble accroître le silence,
Et berce le reflet des mondes dans ses plis.