Page:Lemerre - Anthologie des poètes français du XIXème siècle, t2, 1887.djvu/361

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
339
SULLY PRUDHOMME.

recueillis par le poète en des vers suaves ou superbes et de forme achevée. Ils possèdent surtout un charme qui leur est particulier, celui d’exprimer ce que jusqu’ici on avait pu croire inexprimable. Quand on les lit, ces vers, on sent qu’on a affaire à une âme en peine, mais dont la tristesse est douce. Elle soupire sa plainte, mais ne jette jamais de cris.

« Parti timidement du Vase brisé, Sully Prudhomme s’éleva en passant par L’Idéal et L’Art, jusqu’aux sublimités de La Grande Ourse et du Zénith. Sa poésie se perd, il est vrai, quelquefois dans des subtilités et des indécisions. Elle trahit ainsi les scrupules et les tourments d’une conscience délicate à l’excès. C’est pourquoi il serait peut-être injuste de lui en faire un reproche… Ce ne sont pas de simples tableaux, paysages ou natures mortes, mais des analyses exquises de ce qui vit et s’agite au fond du cœur humain. Le poète n’a pas eu besoin de la couleur ; il avait le sentiment et la pensée. »

Sully Prudhomme n’est pas un simple dilettante s’isolant des douleurs et des joies de la grande famille humaine ; bien au contraire :


… Je suis le captif des mille êtres que j’aime :
Au moindre ébranlement qu’un souffle cause en eux,
Je sens un peu de moi s’arracher de moi-même.


Dans son premier recueil, des pièces charmantes rivalisent de grâce et de fraîcheur, Le Vase brisé, Les Chaînes, mais où le poète parle la belle langue du cœur, domine parfois une pensée grave, apparaît la note du philosophe curieux d’analyser ses impressions les plus vives.

Dans les Mélanges, qui terminent le volume, nous trouvons des vers remarquables d’ampleur et de sonorité, Le Lever du Soleil, par exemple :


Parmi les globes noirs qu’il empourpre et conduit
Aux blêmes profondeurs que l’air léger fait bleues,
La terre lui soumet la courbe qu’elle suit,
Et cherche sa caresse à d’innombrables lieues.


Il faudrait tout citer dans le poème : L’Amérique, d’une incomparable grandeur.