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LECONTE DE LISLE.


Ployant leur jarret maigre et nerveux, et chantant,
             Souples dans leurs tuniques blanches,
Le bambou sur l’épaule et les mains sur les hanches,
              Ils allaient le long de l’Étang.

Le long de la chaussée et des varangues basses
             Où les vieux créoles fumaient,
Par les groupes joyeux des Noirs, ils s’animaient
             Au bruit des bobres Madécasses.

Dans l’air léger flottait l’odeur des tamarins ;
            Sur les houles illuminées,
Au large, les oiseaux, en d’immenses traînées,
            Plongeaient dans les brouillards marins.

Et tandis que ton pied, sorti de la babouche,
            Pendait, rose, au bord du manchy,
À l’ombre des Bois-noirs touffus et du Letchi
            Aux fruits moins pourprés que ta bouche ;

Tandis qu’un papillon, les deux ailes en fleur,
            Teinté d’azur et d’écarlate,
Se posait par instants sur ta peau délicate
             En y laissant de sa couleur ;

On voyait, au travers du rideau de batiste,
            Tes boucles dorer l’oreiller,
Et, sous leurs cils mi-clos, feignant de sommeiller,
            Tes beaux yeux de sombre améthyste.

Tu t’en venais ainsi, par ces matins si doux,
            De la montagne à la grand’messe,
Dans ta grâce naïve et ta rose jeunesse,
            Au pas rythmé de tes Hindous.