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ANDRÉ LEFÈVRE.

Car nous ne serons plus ! Rien : dût avec la mer
La terre se confondre et l’onde avec l’éther !

     Si même, après que l’âme à la forme est ravie,
En nos restes persiste un sentiment de vie,
Cela n’est plus en nous et ne nous est plus rien,
Puisque l’âme et le corps ont rompu leur lien,
Hymen d’où la personne émane tout entière.
En vain, de nos débris rassemblant la poussière,
Le temps ranimerait et renverrait au jour
Nos éléments groupés dans le même contour :
Jetterait-il un pont d’une existence à l’autre ?
Notre substance était, avant d’être la nôtre ;
Mais ceux que nous étions sont pour nous aussi morts
Que les vivants futurs qui reprendraient nos corps.

     Et, certe, en contemplant l’immense cours des âges
Et l’infini travail des atomes, les sages
Admettront que, parfois, leurs divers mouvements
Dans le même ordre aient pu grouper nos éléments.
Mais ce sont des retours que l’esprit ne peut suivre ;
Entre eux le fil se rompt ; la mort passe et délivre
De la chaîne des sens les atomes épars.

     Qui sait ce que les ans nous gardaient de hasards ?
Il faut, pour le subir, passer où le mal tombe ;
Quels coups pourrons-nous donc redouter dans la tombe ?
Viennent les maux futurs, nous en serons exempts,
Comme les morts anciens le sont des maux présents.
Qui n’est pas ne craint point des soucis qu’il ignore,
Et qui n’est plus ressemble à qui n’est pas encore.
Si la vie est mortelle, immortelle est la mort.

(De la Nature des Choses)