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ANDRÉ THEURIET.


LES PAYSANS




Le village s’éveille à la corne du pâtre ;
Les bêtes et les gens sortent de leur logis ;
On les voit cheminer sous le brouillard bleuâtre,
Dans le frisson mouillé des alisiers rougis.

Par les sentiers pierreux et les branches froissées,
Coupeurs de bois, faucheurs de foin, semeurs de blé,
Ruminant lourdement de confuses pensées,
Marchent, le front courbé sur leur poitrail hâlé.

La besogne des champs est rude et solitaire :
De la blancheur de l’aube à l’obscure lueur
Du soir tombant, il faut se battre avec la terre
Et laisser sur chaque herbe un peu de sa sueur.

Paysans, race antique à la glèbe asservie,
Le soleil cuit vos reins, le froid tord vos genoux ;
Pourtant si l’on pouvait recommencer sa vie,
Frères, je voudrais naître et grandir parmi vous !

Pétri de votre sang, nourri dans un village,
Respirant des odeurs d’étable et de fenil,
Et courant en plein air comme un poulain sauvage
Qui se vautre et bondit dans les pousses d’avril.

J’aurais en moi peut-être alors assez de sève,
Assez de flamme au cœur et d’énergie au corps,
Pour chanter dignement le monde qui s’élève
Et dont vous serez, vous, les maîtres durs et forts.