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ANDRÉ THEURIET.


Un meuble en bois de rose est au fond de la chambre.
Ses tiroirs odorants cachent plus d’un trésor :
Bonbonnières, flacons, sachets d’iris et d’ambre,
D’où le souffle d’un siècle éteint s’exhale encor.

Un livre est seul parmi ces reliques fanées,
Et sous le papier mince et noirci d’un feuillet
Une fleur sèche y dort depuis soixante années :
Le livre, c’est Zaïre, et la fleur, un œillet.

L’été, près de la vitre, avec le vieux volume,
La grand’tante se fait rouler dans son fauteuil…
Est-ce le clair soleil ou l’air chaud qui rallume
La couleur de sa joue et l’éclat de son œil ?

Elle penche son front jauni comme un ivoire
Vers l’œillet, qu’elle a peur de briser dans ses doigts :
Un souvenir d’amour chante dans sa mémoire,
Tandis que les pinsons gazouillent sur les toits.

Elle songe au matin où la fleur fut posée
Dans le vieux livre noir par la main d’un ami,
Et ses pleurs vont mouiller ainsi qu’une rosée
La page où soixante ans l’œillet rouge a dormi.

(Le Bleu et le Noir)




LES CLOCHES



Les bois sentent l’automne, et le sommeil profond
Des grands chênes, baignés d’une lumière douce,
Est à peine troublé par le bruit sourd que font
Les glands mûrs tombant sur la mousse.