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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


LES FOINS



Au clair appel du coq chantant sur son perchoir,
Les faucheurs se sont mis à l’œuvre, et la prairie
Dans la blanche rosée a déjà laissé choir,
Derrière eux, un long pan de sa robe fleurie.

Les bruissantes faux vibrant à l’unisson
Ouvrent dans l’herbe mûre une large tranchée ;
Deux robustes faneurs, là-bas, fille et garçon,
Retournent au soleil l’odorante jonchée.

Leurs yeux brillent, l’amour sur le même écheveau
A mêlé les fils d’or de leur double jeunesse,
Et le voluptueux parfum du foin nouveau
À leur naissant désir ajoute son ivresse…

Comme eux, j’éprouve aussi ton mol enivrement,
Fenaison !… Je revois la saison bienheureuse
Où j’allais par les prés, cherchant naïvement
La fleur qui donne au foin son haleine amoureuse.

Et les herbes tombant au rythme sourd des faux
M’apportent le parfum des lointaines années
Dont le Temps, ce faucheur marchant à pas égaux,
Éparpille après lui les floraisons fanées.

La vie est ainsi faite. Elle ondule à nos yeux
Comme une plantureuse et profonde prairie,
Dont un magicien tendre et mystérieux
Varie à tout moment l’éclatante féerie.