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LECONTE DE LISLE.


— Tiphaine, indigne enfant des braves chefs de Vanne,
Opprobre de ta race et honte de Komor,
Conjure le Sauveur, afin qu’il ne te damne ;

J’ai souffert très longtemps : je puis attendre encor. —
Le Jarle recula dans l’angle du mur sombre,
Et Tiphaine pria sous ses longs cheveux d’or.

Et sur le bloc l’épée étincelait dans l’ombre,
Et la torche épandait sa sanglante clarté,
Et la nuit déroulait toujours ses bruits sans nombre.

Tiphaine s’oublia dans un rêve enchanté…
Elle ceignit son front de roses en guirlande,
Comme aux jours de sa joie et de sa pureté.

Elle erra, respirant ton frais arome, ô lande !
Elle revint suspendre, ô Vierge, à ton autel
Le voile aux fleurs d’argent et son âme en offrande.

Et voici qu’elle aima d’un amour immortel !
Saintes heures de foi, d’espérance céleste,
Elle vit dans son cœur se rouvrir votre ciel !

Puis un brusque nuage, une union funeste :
Le grave et vieil époux au lieu du jeune amant…
De l’aurore divine, hélas ! rien qui lui reste !

Le retour de celui qu’elle aimait ardemment,
Les combats, les remords, la passion plus forte,
La chute irréparable et son enivrement…

Jésus ! tout est fini maintenant ; mais qu’importe !
Le sang du fier jeune homme a coulé sous le fer,
Et Komor peut frapper : Tiphaine est déjà morte.