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ÉMILE CHEVÉ.

— Sur un feu souterrain les flots semblent bouillir,
Et de tous les côtés viennent vous assaillir.
— L’Océan est un champ hérissé de collines
D’un vert-bleu translucide aux lueurs cristallines,
Que couronne d’argent un panache écumeux
Dont jusqu’à nos huniers monte l’embrun spumeux.
Un bras semble hacher sa liquide surface.
— La lame est verticale et s’écroule sur place ;
Subite elle se lève et s’affaisse d’un bloc,
Comme sous le plafond d’un invisible roc.
— Une houle enragée, énorme, enfle ses ondes,
Qu’on voit se dérouler, lourdes, lentes, profondes,
Avec une terrible et sombre majesté,
Sous les flancs du navire en tous sens cahoté.
— Et tout arrache à bord du vaisseau, que la brise
Ne vient plus appuyer. Tout craque, fend, se brise.
— Chaque mât, comme un jonc, plie en son étambrai.
— Les coutures des ponts partout crachent le brai.
— La vergue aux élongis casse palans et drosse.
— L’ancre échappe, rompant saisine et serre-bosse,
Et reste suspendue à sa chaîne, crevant
À chaque inclinaison le bordé de l’avant.
— On voit tout le dormant suer tant il travaille,
Et les crocs des canons jouer dans la muraille.
— La cloison ploie et cède, et l’on entend des cris
Partir du haut en bas au milieu des débris :
Plaintes, rires, jurons. On tombe, l’on se blesse,
On glisse, on se raccroche, et c’est une prouesse
Que de pouvoir aller, sans se casser le cou,
De tribord à bâbord. Bientôt, on devient fou
De rage, et de malaise on est presque malade.
— La barque est devenue un panier à salade. —
On ne peut ni dormir, ni manger, ni marcher,
Et l’on n’a pas un coin sûr où pouvoir nicher.