Hier, je trouve sur ma route
Un pommier qui causait.
Ému, je m’arrête, j’écoute.
Voici ce qu’il disait :
Passant qui regardes mes pommes,
Tu vois sans doute que nous sommes
En plus d’un point pareils ;
Mes fruits sont amers ou suaves,
Comme tes jours légers ou graves,
Nébuleux ou vermeils.
Que d’espérances avortées
Dans leur première fleur !
Que de croissances trop hâtées
Que le ver perce au cœur !
Pourtant la sève germe et monte ;
Alors un prodigue sans honte
Sur nous lève la main ;
Il cueille sa vendange verte,
Et vient couper l’artère ouverte
Au miel du lendemain.
Ou bien c’est l’homme au cœur de marbre,
L’avare froid et dur,
Qui laisse dessécher sur l’arbre
Mon sang liquide et mûr.
Ainsi vous récoltez sans cesse,
Par trop de hâte ou de paresse,
Le fruit vert ou gâté.
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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.