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ANAÏS SÉGALAS.

Le corps, lorsqu’il était vivant et radieux,
N’était qu’un porte-voix et qu’un porte-lumière.

On est surpris pourtant qu’il soit anéanti.
Qui de nous ne s’est dit, en regardant sa mère :
« Ces yeux pleins de tendresse et cette voix si chère,
Qui, depuis mon enfance, a chez moi retenti,
Me resteront toujours. » Mais la mort vient la prendre,
Et l’on crie éperdu : « Quand vas-tu me la rendre ? »
Si la mort dit : « Jamais ! » la mort en a menti !

Oh ! quand ils sont partis, ces êtres qu’on adore,
On les cherche, on les pleure, on les appelle encore !
Tout est morne chez eux quand Dieu leur a dit : « Viens ! »
Le lit vide est refait pour un autre ; la glace,
Qui les vit si souvent, ne garde pas leur trace.
Seul, leur chien, en hurlant, nous dit : « Je me souviens ! »

Laissez-les un moment quitter votre royaume,
Mon Dieu ! de grâce, une ombre, un miracle, un fantôme,
Dût-il nous effrayer, drapé de longs draps blancs !
Mais rien… rien… pas un souffle, un mot de ceux qu’on aime ;
Il faut, pour les revoir, regarder en soi-même :
C’est dans le cœur qu’on voit passer les revenants.

Quelquefois cependant, Dieu, qui nous les enlève,
Les laisse s’échapper par la porte du rêve.
Ils causent avec nous, la nuit… ce sont bien eux !
Avec leurs traits humains et chéris, ils renaissent ;
Mais on dit au réveil : « Quand ils nous apparaissent,
Sortent-ils de nos cœurs ou viennent-ils des cieux ? »

Le matin, on leur rend leur visite adorée.
Les vivants vont aussi sur la route azurée,