Page:Lemerre - Anthologie des poètes français du XIXème siècle, t1, 1887.djvu/351

Cette page a été validée par deux contributeurs.
325
ALFRED DE MUSSET.



STANCES




Je méditais, courbé sur un volume antique,
Les dogmes de Platon et les lois du Portique.
Je voulus de la vie essayer le fardeau.
Aussi bien j’étais las des loisirs de l’enfance,
Et j’entrai, sur les pas de la belle espérance,
            Dans ce monde nouveau.

Souvent on m’avait dit : « Que ton âge a de charmes !
Tes yeux, heureux enfant, n’ont point d’amères larmes.
Seule la volupté peut t’arracher des pleurs. »
Et je disais aussi : « Que la jeunesse est belle !
Tout rit à ses regards ; tous les chemins, pour elle,
            Sont parsemés de fleurs ! »

Cependant, comme moi, tout brillants de jeunesse,
Des convives chantaient, pleins d’une douce ivresse ;
Je leur tendis la main, en m’avançant vers eux :
« Amis, n’aurai-je pas une place à la fête ? »
Leur dis-je… Et pas un seul ne détourna la tête
            Et ne leva les yeux.

Je m’éloignai pensif, la mort au fond de l’âme.
Je crus que dans ma nuit un ange avait passé.
Alors à mes regards vint s’offrir une femme.
Et chacun admirait son souris plein de charme ;
Mais il me fit horreur ! car jamais une larme
            Ne l’avait effacé.