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MARIE-JOSEPH CHÉNIER.

FRAGMENT




Vain espoir ! tout s’éteint : les conquérants périssent ;
Sur le front des héros les lauriers se flétrissent ;
Des antiques cités les débris sont épars ;
Sur des remparts détruits s’élèvent des remparts ;
L’un par l’autre abattus les empires s’écroulent ;
Les peuples entraînés, tels que des flots qui roulent,
Disparaissent du monde ; et les peuples nouveaux
Iront presser les rangs dans l’ombre des tombeaux
Mais la pensée humaine est l’âme tout entière ;
La mort ne détruit point ce qui n’est point matière.
Le pouvoir absolu s’efforcerait en vain
D’anéantir l’écrit né d’un souffle divin :
Du front de Jupiter c’est Minerve élancée.
Survivant au pouvoir, l’immortelle pensée,
Reine de tous les lieux et de tous les instants,
Traverse l’avenir sur les ailes du Temps
Bravant des potentats la couronne éphémère.
Trois mille ans ont passé sur la cendre d’Homère,
Et, depuis trois mille ans, Homère respecté
Est jeune encor de gloire et d’immortalité.


(Épître à Voltaire)


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