Page:Lemerre - Anthologie des poètes français du XIXème siècle, t1, 1887.djvu/306

Cette page a été validée par deux contributeurs.
282
ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


Ne les raillez pas, camarade ;
Saluez plutôt chapeau bas
Ces Achilles d’une Iliade
Qu’Homère n’inventerait pas.

Respectez leur tête chenue !
Sur leur front par vingt cieux bronzé,
La cicatrice continue
Le sillon que l’âge a creusé.

Leur peau, bizarrement noircie,
Dit l’Égypte aux soleils brûlants ;
Et les neiges de la Russie
Poudrent encor leurs cheveux blancs.

Si leurs mains tremblent, c’est sans doute
Du froid de la Bérésina ;
Et s’ils boitent, c’est que la route
Est longue du Caire à Wilna ;

S’ils sont perclus, c’est qu’à la guerre
Leurs drapeaux étaient leurs seuls draps ;
Et si leur manche ne va guère,
C’est qu’un boulet a pris leur bras.

Ne nous moquons pas de ces hommes
Qu’en riant le gamin poursuit ;
Ils furent le jour dont nous sommes
Le soir et peut-être la nuit.

Quand on oublie, ils se souviennent !
Lancier rouge et grenadier bleu,
Au pied de la colonne, ils viennent
Comme à l’autel de leur seul Dieu.