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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

Alors, comme elle aimait les rumeurs de la guerre,
            La poudre, les tambours battants,
Pour champ de course, alors, tu lui donnas la terre
            Et des combats pour passe-temps :
Alors, plus de repos, plus de nuits, plus de sommes ;
            Toujours l’air, toujours le travail,
Toujours comme du sable écraser des corps d’hommes,
            Toujours du sang jusqu’au poitrail ;
Quinze ans son dur sabot, dans sa course rapide,
            Broya les générations ;
Quinze ans elle passa, fumante, à toute bride,
            Sur le ventre des nations ;
Enfin, lasse d’aller sans finir sa carrière,
            D’aller sans user son chemin,
De pétrir l’univers, et comme une poussière
            De soulever le genre humain ;
Les jarrets épuisés, haletante et sans force,
            Près de fléchir à chaque pas,
Elle demanda grâce à son cavalier corse ;
            Mais, bourreau, tu n’écoutas pas !
Tu la pressas plus fort de ta cuisse nerveuse ;
            Pour étouffer ses cris ardents,
Tu retournas le mors dans sa bouche baveuse,
            De fureur tu brisas ses dents ;
Elle se releva : mais un jour de bataille,
            Ne pouvant plus mordre ses freins,
Mourante, elle tomba sur un lit de mitraille
            Et du coup te cassa les reins.

(Iambes)


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