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AUGUSTE BRIZEUX.

J’irai, j’irai revoir les saules du Létà,
Et toi qu’en ses beaux jours mon enfance habita.
Paroisse bien aimée, humble coin de la terre,
Où l’on peut vivre encore et mourir solitaire !

Aujourd’hui que tout cœur est triste et que chacun
Doit gémir sur lui-même et sur le mal commun ;
Que le monde, épuisé par une ardente fièvre,
N’a plus un souffle pur pour rafraîchir sa lèvre ;
Qu’après un si long temps de périls et d’efforts,
Dans l’ardeur du combat succombent les plus forts ;
Que d’autres, haletants, rendus de lassitude,
Sont près de défaillir, alors la solitude
Vers son riant lointain nous attire, et nos voix
Se prennent à chanter l’eau, les fleurs et les bois.
Alors c’est un bonheur, quand tout meurt ou chancelle,
De se mêler à l’âme immense, universelle,
D’oublier ce qui fuit, les peuples et les jours,
Pour vivre avec Dieu seul, et partout et toujours.
Ainsi, lorsque la flamme au milieu d’une ville
Éclate, et qu’il n’est plus contre elle un sûr asile,
Hommes, femmes, chargés de leurs petits enfants,
Se sauvent demi-nus, et, couchés dans les champs,
Ils regardent de loin, dans un morne silence,
L’incendie en fureur qui mugit et s’élance ;
Cependant la nature est calme, dans les cieux
Chaque étoile poursuit son cours mystérieux,
Nul anneau n’est brisé dans la chaîne infinie,
Et l’univers entier roule avec harmonie.

Immuable nature, apparais aujourd’hui !
Que chacun dans ton sein dépose son ennui !
Tâche de nous séduire à tes beautés suprêmes,
Car nous sommes bien las du monde et de nous-mêmes :